Lettre à Marie

Paris le 2 août 1917

Ma bien chère Marie

Voila maintenant plus d’un mois que tu es partie te reposer au moulin et le bon air d’Auxilac semble te réussir puisque tu nous donnes pas souvent des nouvelles. Il est vrai que le fonctionnement du courrier est très perturbé avec cette guerre qui n‘en finit pas.

Comment vont nos parents? Pour tout vous dire, vous me manquez, même si mes journées sont particulièrement chargées et se terminent fort tard dans la nuit. Tu connais monsieur Proust, ses demandes incessantes, pour ne pas dire ses caprices. Je tiens la maison, je cours partout pour le servir de mon mieux, j’accueille les visiteurs qui se font de plus en plus rares, à l’exception de monsieur Gallimard qui le visite assez régulièrement maintenant.

Monsieur est tout à son œuvre et laisse peu de temps aux mondanités, mais cela me convient plutôt bien. Il me lit des passages, me demande mon avis, sourit de mes remarques en haussant les épaules, puis rature la page, écrit des notes sur des papiers et me demande de les coller en marge. Toutes ces annotations me font tourner la tête, et j’avoue que parfois je suis au bord de perdre patience. Mardi dernier, mises bout à bout, j’ai collé près d’un mètre de paperolles sur une même page !

Sa santé me préoccupe, son frère le professeur qui est un homme charmant le pousse sans arrêt à prendre du repos, mais monsieur n’en fait qu’à sa tête et ne veut rien entendre.

Pour le reste, je vais bien, même si je m’inquiète pour Odilon qui a déjà été réquisitionné en quatorze avec son taxi pour conduire des soldats sur le front de la Marne. Il ne faudrait pas que ça recommence.

Mais je vous écris avant tout pour demander des nouvelles. J’en ai eu par Marie du Villard la semaine dernière. Elle m’a raconté une drôle d’histoire à propos d’un serpent volant qui serait sorti des hauts de Chaumazelle, aurait traversé toute la vallée et aurait disparu derrière le roc de Juan. Peux tu m’en dire un peu plus sur cette histoire? J’ai montré la lettre à monsieur et il a éclaté de rire en me disant que les faucheurs avaient peut-être un peu trop forcé en arrosant le casse croûte de midi.

Comment va maman? Je sais que sa santé est fragile, et que le travail ne manque pas au moulin. Que faites-vous en ce moment ? Les foins sont rentrés ? Les moissons se préparent ? Dites moi, racontez moi tout cela. Auxillac me manque et ici l’appartement est assez sombre car monsieur souhaite que nous laissions les volets fermés, alors envoyez moi un peu de soleil dans une enveloppe.

Albanie de Montjézieu m’a écrit que seize auxilacois avaient déjà perdu la vie au front. C’est terrible tous ces jeunes hommes emportés par cette guerre folle. Que deviennent leurs femmes ? leurs familles ? leurs enfants ? Comment vit on au village avec tous ces absents, ceux qui ne reviendront pas et les combattants qui sont tous les jours dans l’horreur des tranchées? Est-ce toujours monseigneur qui est le maire du village  Racontes moi tout ça, que je me sente un peu moins à l’abri des choses dans le confort du Boulevard Haussman. Il faut bien que je partage les joies comme les peines du village.

Et nos frères? Et la petite Adeline qui a tenu la traîne de ma robe de mariage ? Ce doit être maintenant une bien jolie jeune fille.

Réponds moi vite petite sœur, embrasse les parents, je dois te quitter car monsieur vient de sonner pour que j’aille prendre le courrier à poster avant la dernière levée.
Je vous envoie mille baisers.

Ta sœur Céleste

Pour en savoir plus et répondre à Céleste.

La vie au Moulin dans la famille de Céleste

Céleste

Le serpent volant de Chaumazelle

Les enfants d’Auxillac morts pour la France

Envoyez votre réponse avant le 28 juillet 2017 à bgranjean@wanadoo.fr

Nota bene : Ce courrier n’a jamais été écrit par Céleste, c’est un simple prétexte pour vous permettre d’apporter une contribution au festival en imaginant une journée dans le village au siècle dernier.

Guy Lévêque

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Les réponses de Marie à Céleste.

Ma bien chère Céleste

Je viens de recevoir ta lettre datée du 2 août, trois ans déjà, jour pour jour, que cette affreuse guerre, qui a tué tant de jeunes hommes de notre village, a été déclarée.

Tu me reproches de ne pas donner souvent des nouvelles ! Mais ici, nous, les femmes, sommes bien occupées à remplacer les hommes dans les travaux des champs et de la ferme!

Tu n’as pas oublié, je suppose, que le mois d’août est ici la pleine période de moissons, toi qui est si occupée avec ton grand enfant capricieux qui te fait coller bout à bout des papiers sans intérêt que personne ne lira jamais.

Je suis bien occupée et préoccupée par ce « grand »monsieur et sa santé soit disant précaire et qui-entre nous soit dit- se regarde le nombril.

Par contre, je comprends on inquiétude concernant ton cher mari Odilon, ce qui me laisse penser que tu n’as pas de ses nouvelles.

Quant à maman, rassures toi, elle est aussi solide que le roc de Juan, qui n’a jamais vu passer le moindre serpent volant.Nous n’avons vraiment pas le temps de nous occuper de ces foutaises ! Marie du Villard a décidément toujours autant d’imagination, et d’ailleurs, tu diras à ton « monsieur » qu’il n’y a plus de faucheurs, que des faucheuses, et que l’alcool et le casse- croûte ici, ce n’est pas comme à Paris ; ils se font rares, c’est la guerre, ton monsieur a l’air de l’oublier.

Par contre, ici aussi nous tenons les volets fermés, la chaleur est à son comble. Sinon, toute l famille va bien, et espère bientôt te voir au village.

Je dois te quitter, le tocsin sonne, le feu vient de se déclarer au « pra aux broux » du père Tromillot et je dois aider à la corvée d’eau.

Je t’embrasse très affectueusement,

Ta petite sœur Marie

Écrit par Christiane et Jean-Pierre

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Auxillac le 2 aout 1991


Cet été, je suis venue chez ma grand-mère Marie, dans son village natal d’Auxillac, dans la vallée du Lot, en Lozère.

Nous nous sommes retrouvés avec mon frère Paul et ma sœur Louise, ainsi que nos parents pour commencer à préparer les cartons car la maison doit être mise en vente prochainement, suite à disparition de ma grand-mère début juin.

Après avoir rangé les différentes pièces de la maison, nous sommes allés au grenier. Parmi les vieux fauteuils recouverts de poussière, la vaisselle ancienne et les toiles d’araignées, nous avons fait une découverte assez incroyable.

Dans un des nombreux cartons, nous avons retrouvé toute la correspondance de notre grand-mère Marie, et notamment une lettre qu’elle avait reçue de Céleste il y a cent ans jour pour jour, le 2 août 1917.

Quelle coïncidence ! Dans cette lettre, céleste demandait des nouvelles de ses parents, de sa sœur, de ses frères, et des familles qui avaient perdu des leurs pendant la guerre de 14-18.

Et si je vous donnais des nouvelles du village cent ans après, la guerre est finie depuis longtemps et nous vivons des jours pénibles. Le moulin est toujours là et est aujourd’hui devenu l’auberge du moulin. Le lieu où les villageois peuvent se retrouver, le seul commerce aujourd’hui.

Il faut dire qu’au débout du siècle dernier, il faut imaginer qu’il y avait plusieurs bars qui avaient peu à peu disparu au fil des ans.

La roue du Moulin qui ne fonctionnait plus depuis des décennies a été remise en service les gens de passage apprécient.

Le village n’a pas tant changé. Il y a bien quelques maisons modernes qui ont été construites vers le Catelmas, dans le haut du village, mais la vallée verte est restée intacte sous le regard bienveillant de la montagne de Rochalte.

Et puis chaque année, depuis sept ans, le village s’anime avec le festival célestivales, un rendez-vous culturel où se mêlent cirque, théâtre et musique pour le plaisir des petits et des grands. Dite que le festival a commencé en hommage à notre grand tante Céleste. Que se serait-il passé si elle n’avait pas été la servante d’un écrivain célèbre ?

N’aurions nous pas eu de festival dans ce petit village ? Qui aurait dit que cette petite localité attirerait un jour de grands amateurs de Marcel Proust à la recherche du temps perdu et bien d’autre ?

Écrit par Marie Pierre

Carnet de voyage de Lucie, petite fille de Marie, sœur de Céleste Albaret

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Auxillac le 16 août 1977

Ma bien chère Céleste

Enfin, tu me réponds ! Cela fait déjà la onzième lettre que je t’envoie et jamais, au grand jamais, tu ne m’as répondu. Je veux bien que le courrier soit perturbé à cause de la guerre, mais quand même !

Je suis contente de lire de tes nouvelles…

Ah, sacré monsieur Proust ! Il n’a pas l’air facile et doit te donner beaucoup de travail…

Je n’ai cessé de t’écrire car ici, à Auxillac, un étrange évènement est arrivé : un serpent volant et sa famille sont venus s’installer au village.

Depuis, tout est différent !

Ce serpent était déjà venu il y a un mois, il avait travers la vallée, puis disparu derrière le roc de Juan. A ce moment là, personne n’avait voulu croire les faucheurs qui avaient vu ce fameux serpent. Tous ricanaient en mettant en cause l’alcool qui aurait tourné la tête des faucheurs.

Eh bien non, c’était vrai. Il faut que je te raconte Céleste. Le serpent volant est revenu, et cette fois, il n’était pas seul. Cet animal d’au moins trois mètres de long et aux iles écarlates était accompagné d’une dame serpent et d’une ribambelle de petits…Tous avaient des grandes ailes avec des plumes chatoyantes.

En les regardant de plus près, chacun avait, non pas un museau, mais un vrai visage.

Céleste, tu ne vas pas me croire, mais c’est la stricte vérité ! Les serpents volants se sont installés près du moulin des parents et ont commencé à réclamer à manger. Comme ils étaient impressionnants, nous avons commencé à leur donner nos réserves, mais très vite, elles se sont épuisées…Les moissons étaient prêtes, il fallait aller au blé, et tu sais, avec la guerre, le village n’est plus peuplé que de fillettes, femmes et vieillards….

C’est alors que la petite Adeline a eu une idée. Elle a profité de la nuit pour aller retrouver les petits enfants volants, et ils ont joué ensemble ; l’enfance est universelle et il n’y a pas de peur de la différence.

Petit à petit, les parents serpents ont fini par adopter Adeline, ainsi que tous les enfants du village. Tu verrais maintenant nos petits voler dans les airs sous les yeux incrédules de nos parents et des femmes du village.

C’est ainsi que les serpents nous ont aidé à rentrer les foins.

Il fait très beau ici, la vie est devenue très agréable grâce à nos nouveaux compagnons. Tu ne croirs pas, mais encore, c’est extraordinaire. Nos serpents, qui maintenant savent parler comme toi et moi, ont kidnappé tous nos hommes sur les champs de bataille.

Mais chut ! Ne le dis à personne, c’est notre secret auxillacois. Rien surtout à monsieur Proust !

A bientôt ma chère Céleste, je t’embrasse !

Ta sœur Marie

Écrit par Emmanuelle

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Paris le 2 août 1917

Ma chère Marie, sœur de Céleste…

Une lettre oubliée par Céleste, non envoyée, a attiré ma curiosité et me donne envie de prendre ma plume pour écrire autre chose que mon œuvre pesante.

En provenance de Paris, je vous informe que la présence de votre sœur à ms cotés est une source d’inspiration non négligeable dans un climat de guerre instable.

Je suis conscient de mes demandes incessantes auprès de Céleste, mais qui gr^ce à sa tendresse me permet d’écrire.

J’espère que votre famille et le village d’Auxillac garde l’espoir sans que Céleste soit obligée de me quitter pour vus apporter son soutien.

Je suis content de laisser ma plume car j’entends Céleste rentrer du marché.

Bien à vous

Proust

Écrit par Giliane et Manon

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Ma chère Céleste

Le village n’est plus le même, tu peux t’en douter, avec cette terrible guerre.

De nombreux auxllacois ont été appelés, et certains, hélas, ont perdu la vie. Ce sont les femmes qui doivent les remplacer pour de nombreuses tâches : Les travaux des champs, la tenue des maisons, l’éducation des enfants.

Les familles essaient de s’entraider, tout en tremblant qu’une terrible nouvelle ne leur arrive annonçant la mort d’un père, d’un mari, d’un frère.

Je pense bien à toi, dans Paris où la vie ne doit pas être facile avec toutes les restrictions concernant notamment la nourriture ; et aussi le couvre feu.

Ici, au moins, nous avons du lait, du pain, des légumes. Nous travaillons dur pour que les enfants soient correctement nourris.

Monseigneur de Ligonnès a donné plusieurs messes pour le retour de nos soldats et la fin de cette guerre. L’église était pleine, on entendait des femmes pleurer, celles qui avaient déjà perdu un être cher…

Lettre écrite par Christine

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Auxillac le 3 août 2017

Ma bien chère Marinette

Voilà deux jours que j’ai trouvé une lettre de votre grand-mère Céleste Alabaret. l’enveloppe tachée, noircie datant du 2 août 1917 a attiré mon attention. Elle est adressée à notre tante Marie et, miraculeusement, celle ci est restée intacte.

Imaginez ma surprise, j’étais dans le grenier de la maison d’Auxillac dont je suis la nouvelle propriétaire et là sous une pile de vieux journaux, la lettre est tombée entre mes mains.

Curieuse de nature, j’ai recherché Céleste Albaret, l’expéditrice de la lettre, sur des sites généalogiques via Internet. J’ai ainsi découvert le rôle qu’a tenu votre aïeule auprès du grand Marcel Proust.

C’est avec une grande émotion et un grand plaisir que je vous transmets cette lettre qui m’a profondément touchée, je suis témoin d’une partie de cette histoire qui est la votre.

J’ai réalisé l’importance que ce courrier pourrait avoir pour vous, et étant passionnée de généalogie, je reste ouverte à toutes vos questions. Voici mon adresse : eliane@genealogie.com

Lettre à Céleste à remettre à sa petite fille Marinette

écrite par Éliane, Véronique et Raphaëlle.

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